UNE dernière question avant de commencer: quand vous rentrerez en France, qu'est-ce que vous emporterez d'ici?
JE ne sais pas encore...Il me reste plus d'un an à vivre ici. L'année dernière, il s'est passé tellement de choses innatendues... Je ne sais pas... Whitman?...Si je dois vraiment dire quelque chose, je dirais... je dirais mon abonnement au New Yorker. Oui! Quand je serai à Paris, je ferai transférer mon abonnement. Je le garderai. Je voudrai recevoir le magazine là-bas. Les news magazines sont nuls en France, pas un seul, pas un! Oui: je garderai le New Yorker.
TRES bien. Bon, et bien tirez trois cartes, puis deux, puis trois. Vous ne les retournez pas. Vous les assemblez devant vous dans l'ordre que vous désirez. C'est moi qui les retournerai.
OK... Comme ça?
OUI, c'est parfait. Voilà. Bien! Maintenant vous les retournez... Oui... Voilà. Bien! Maintenant c'est à moi de travailler un peu. Je vais prendre deux minutes pour regarder l'ensemble, d'accord? Voilà. Je retourne... Oui... Hmm... Oui... Hmm... Hmmm mmm... Hmm... Hm... Hmmmm?... Hm... Oui... HMMmm... Intéressant. Oui... oui... Et oui, bien sûr, très bien... Très bien... Hmmm... Oui, très, très, très... Oui... OUI!!!... Hmmm... Bien!
OUI?
OUI. Bien. On y va? Allez, on commence! D'abord, pour vous détendre: ne vous inquiétez, la fête des mères c'est ce dimanche-ci en France. Donc vous ne l'avez pas râtée et vous n'avez pas besoin de craindre le coup de téléphone: elle n'est pas en colère contre vous, au contraire. Vous êtes inquiet par rapport à cette fête, n'est-ce pas?
HEU... Oui... Waow...Je...
EXCUSEZ-MOI mais une fois que je suis lancée, je continue! C'était un peu cabot de ma part mais je préfère mettre en confiance comme ça au tout début. Après on arrête les sourires en coin, les ricanement ou les haussements de sourcils. Tiens allez, je commence par une question: quand allez-vous rentrer à la maison?
DANS un mois, je pars le 28 et je rentre à SF le 31 juillet.
VOUS me parlez de vos vacances à Paris là?
OUI...
JE vous parle de rentrer chez vous, à la maison, comme E.T., home... Je vous parle de New York!
NEW York??? J'ai jamais vécu à New York et j'ai pas de projets pour New York! J'y étais il y a un mois. J'aime bien, j'aime beaucoup même mais au bout de deux jours, je voyais pleins de trucs qui m'énervaient et j'avais envie de rentrer en Californie...
OUI mai ça, ce sera vrai toute votre vie: vous ne serez jamais satisfait. Vous ne serez jamais en accord avec ce qu'il ya autour de vous. Vous ne serez jamais dans ce genre de bonheur simple. Vous n'êtes pas fait pour ça. Excusez. Ni pour le bonheur, ni pour la simplicité. Oui: je parle bien de New York quand je parle de votre home. New York. La ville qui n'appartient à personne. La ville sans terre, sans peuple, sans socle. Le seul endroit où vous ayez encore peur la nuit. Vous avez peur à New York et c'est pour celà qu'elle est et sera votre home désormais. Vous avez besoin d'avoir peur. Ce que vous détestez, c'est quand vous maitrisez les choses, quand vous comprenez: alors, départ! Beyrouth: départ! Marseille: départ! Paris: départ!départ!départ! il y a encore qulque chose qui vous échappe dans Paris, et donc qui vous retient. Mais en France il y a leur terre, leurs morts, Maurras, il y a eux, leur langue, leur culture, leur terre, leurs morts, à eux. Au Liban vous l'avez écrit: il n'y plus rien là-bas. Vous avez écrit ça, non? Vous l'avez écrit deux fois: une fois enfant et une autre fois encore? Non? Oui... Vous vous êtes rapproché. Vous n'êtes plus très loin: vous être juste trop au sud. Et trop à l'ouest. Vous n'êtes plus très loin maintenant. New York, Michel. Vous me faites rire avec vos yeux qui disent non... Vous êtes allé là-bas et vous avez rencontré trois personnes qui vous ont posé la question: pourquoi tu n'es pas ici plutôt, vous vous souvenez? Vous avez oublié. C'est normal. Vous ne vivrez pas à Manahattan bien sûr. Vous serez à Brooklyn. Non, je sais: vous n'y êtes jamais allé. Vous savez pourquoi? Oui... C'est toujours la même raison. C'est étrange cette peur, ce rejet. Pourtant elle vous l'a dit. Oui!! Tiens, tiens. Elle vous en a parlé... Et vous, vous avez répondu... Ah oui, encore cette histoire d'amie qui vous attend pour un contrat à Paris... Oui, votre parole, bien sûr!! C'est drôle vu d'ici! Non pas de parole respectée, pas de contrat, pas de Paris, pas de retour là-bas. Il faudrait vous dire comme pour Beyrouth: là-bas... Ou plus grand monde. Il n'y aura plus grand monde non plus. Non... Non plus... Non... Je ne vois personne de ce nom... Je ne vois que New York en fait, en ligne, en droite, en vaisseau...Vous ferez le travail dont elle vous a parlé il y a un mois. Oui, avec elle d'abord, puis avec d'autres, puis seul. Et autre chose qui ne va pas vous faire plaisir aujourd'hui. Je ne vais pas le dire fort car vos amis ici ne savent pas à quel point vous détestez leur pays, mais il y aura un passeport américain dans votre poche. Avec votre nom dessus, bien sûr. Américain: c'est drôle non? Une nouvelle génération d'immigrés pour nous. Des immigrés comme vous: de ceux qui sont venus pour nous haïr ou parcequ'ils nous haïssaient mais qui ont quand même voulu voir, voulu savoir. Comment c'était là-bas. Et puis nous vous avons ouvert la porte, un peu, pas en grand: nous n'ouvrons jamais plus en grand. Nous vous avons laissés entrer. Nous vous avons laissés nous regarder, nous toucher, nous griffer, nous cracher à la figure parfois. Et puis nous vous avons pris. Nous vous avons retenus. Nous vous prendrons. Vous serez notre prochaine grande victoire, nos convertis, à nous. Vous serez là, Michel. Vous viendrez aussi. Regardez: vous êtes déjà venu! Vous êtes là! Qui vous a demandé de venir ici? Pourquoi ici alors que vous nous détestez tant?? Oui je sais, c'est impossible, vous n'en avez même pas envie, des histoires. Des histoires de voyante, non? Vous êtes bleu quand vous avez peur. Vous avez froid? Vous voulez que je ferme la fenêtre? Ah oui, c'est vrai: elle n'est pas ouverte.